Que l’oiseau au chant sublime qui
habite l’arbre unique d’Arabie, soit le héraut éclatant et grave à la voix
duquel obéissent les chastes ailes.
Mais, toi, rauque messager,
sombre précurseur du démon, prophète de la fiévreuse agonie, ne te mêle pas à
cet essaim.
Que de cette solennité soient
exclus tous les oiseaux à l’aile meurtrière, hormis l’aigle, roi des
airs : telle est la règle de ces obsèques.
Que le prêtre en blanc surplis,
appelé à chanter la musique funèbre, soit le cygne pressentant la mort, et
qu’il solennise le Requiem.
Et toi, corbeau trois fois
centenaire qui fais noire ta couvée avec le souffle que tu lui communiques,
c’est toi qui mèneras le deuil.
Ici l’anthème commence : —
L’amour et la constance sont morts ; le phénix et la tourterelle se sont enfuis
d’ici dans une flamme mutuelle.
Ils s’aimaient à tel point que
leur amour partagé ne faisait qu’un. Deux êtres distincts, nulle division. Le
nombre était anéanti dans leur amour.
Cœurs séparés, mais non
disjoints ! on voyait la distance, et non l’espace, entre la tourterelle
et son roi. Mais en eux c’était un prodige. L’amour rayonnait entre eux de
telle sorte que la tourterelle voyait son être flamboyer dans le regard du
phénix. Chacun était le moi de l’autre.
Effarement de la logique !
l’identité n’était pas la parité. Avec leur nature, unique sous un double nom,
ils ne faisaient ni un ni deux.
La raison, confondue d’elle-même,
voyait l’union dans leur division ; absorbés l’un dans l’autre, distincts
l’un de l’autre, ces êtres étaient si bien assimilés,
Qu’elle se demandait comment leur
duo formait cet harmonieux solo. L’amour n’a pas de raison, non, pas de raison,
si ce qui est séparé peut être ainsi mêlé.
L’amitié a composé ce chant
funèbre en l’honneur du phénix et de la colombe, astres suprêmes du ciel
d’amour, — faisant l’office de chœur dans leur scène tragique :
Chant funèbre.
La beauté, la loyauté, la perfection, la grâce dans toute sa simplicité,
gisent ici réduites en cendres.
La mort est maintenant le nid du
phénix ; et le sein loyal de la colombe repose sur l’éternité.
Ils n’ont pas laissé de
postérité, et ce n’était pas chez eux infirmité : leur union était le
mariage de la chasteté.
Désormais la loyauté peut sembler
être, elle n’est plus ; la beauté peut se vanter d’exister, elle n’existe
plus ; car loyauté et beauté sont ensevelies ici.
Inclinez-vous devant cette urne,
vous tous qui êtes loyaux ou beaux, et murmurez une prière pour ces morts.
William Shakespeare, The Phoenix and the Turtle, Traduction par François Victor Hugo
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